corrèze gastronomie

Si on la connaît de nom, La corrèze conserve, entre ses contours flous, une grande part de mystère.

La corrèze, un terroir à la croisée des chemins et des traditions.

Ils sont là, fantômes dans la brume du petit matin, éleveurs descendus avec un ou deux veaux de leurs montagnes.

En face, les hommes en blouse noire, ce sont les abatteurs. À 9 heures pile, au coup de sifflet, c’est parti.

Les acheteurs ont l’œil. Ils n’ont que quelques secondes pour évaluer la bête.

Ce qu’ils veulent, c’est une chair bien blanche, celle qui est conforme au goût français. Cela se voit, paraît-il, à la queue et aux pupilles du veau.

On palpe, on observe. Terminé, déjà. En un quart d’heure, une trentaine de bêtes ont changé de main. Le cours officiel du jour est établi et publié dans la presse. Cela se passe toutes les semaines, tantôt à Brive, tantôt à Objat. Ce commerce est vieux comme la Corrèze.


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Mais depuis qu’il est protégé par un cahier des charges, le veau du Limousin, nourri seulement au lait, est devenu le fleuron de ce pays.

Son caviar. Ne pas se fier, donc, aux maisons très urbaines des boulevards de Brive, retirées au fond de leurs jardins plantés de surprenants palmiers et bananiers. Ni aux finesses Renaissance du musée Labenche.

Malgré ses grands airs, Brive est une ville de terroir.

Un bourg de foire où l’on vient encore vendre les produits des fermes voisines.

Déployé tous les samedis devant le théâtre municipal, le marché qui a inspiré Georges Brassens (« Au marché de Brive-la-Gaillarde […] quelques douzaines de gaillardes se crêpaient un jour le chignon ») est l’âme de la cité.

Les fraises du Lot y côtoient les fromages du Cantal, les éleveurs de volailles de Dordogne y passent en voisin.

Mais on y trouve aussi tout ce qui fait la richesse de la Corrèze. Les champignons bien sûr, dont les premières pousses nourrissent à l’infini les conversations. Les cardes (blettes). Les dernières tomates. Les choux verts. Les noix.

Corrèze : une région terrienne et agricole  où la vie s’écoule lentement

Toute une histoire, les noix.

Les noiseraies s’étendent en plaine autour de Brive, là où les hivers sont plus cléments.

À l’automne, les propriétaires attendent avec impatience que les coques tombent.

Au besoin, on secoue les arbres et l’on en ramasse des tombereaux entiers.

Les plus belles sont vendues telles quelles ou en cerneaux, les petites et les brisées sont apportées au moulin pour en faire de l’huile.

Et puis il y a ces noyers presque sauvages, plantés derrière les fermes, qui permettent de faire le vin de noix.

Il suffit de franchir le seuil d’une maison pour qu’on vous en pose d’autorité, un verre sur la table. Chaque famille a sa recette et si l’on en manque, on peut toujours s’approvisionner en Quinquignoix de chez Denoix, illustre maison au nom prédestiné.

Dès 1839, ce liquoriste haut de gamme, installé à Brive, a travaillé la jeune noix de la Saint-Jean.

Il avait inventé à l’époque un jus de noix verte vieilli cinq ans en fût de chêne et additionné d’armagnac. Aujourd’hui encore, le sirop de sucre qu’on y ajoute est cuit, dans les règles de l’art, dans le chaudron de l’arrière-grand-père.


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Tulle est plus ouvrière, mais son marché, qui s’étire du quai sur la Corrèze jusqu’au pied de la cathédrale, est tout aussi essentiel.

Les clients, plutôt âgés, portent la chemise à carreaux fermée jusqu’au dernier bouton. Pour protéger leur permanente, les grands-mères sortent un foulard de plastique au premier crachin.

Un camion à bout de souffle annonce la couleur : « Boucherie, charcuterie et commerce de bestiaux ».

On passe aux Délices de Mathou, l’une des meilleures pâtisseries de la ville, et voici qu’après s’être régalé de chocolats fins et de polkas (choux à la crème pâtissière), on revient à l’essentiel : le pâté de pommes de terre qui vient de sortir du four.

Le feuilletage est à la fois doré et aérien. La farce de pommes de terre aillée juste comme il faut. Tout un savoir-faire.

Paysages et traditions varient du nord au sud de la région

On dit que Tulle et Brive, les deux métropoles du sud de la Corrèze, ne s’aiment guère.

C’est fatal pour deux rivales distantes d’à peine vingt-huit kilomètres.

D’autant que la Corrèze, cloisonnée par des vallées et les derniers contreforts du Massif central, est d’une nature diverse.

Au nord, on se croirait dans une Auvergne plutôt austère, au sud dans un Midi bonhomme.

Terre de pins, de chênes, de noyers ou de châtaigniers ? On était en « Chiraquie », on est passé en « Hollandie »… Canard ou pas canard ?

Brive a ses foires du gras mais c’est en vain que les touristes s’obstinent à chercher des magrets en Haute-Corrèze.

Une grave question résume cette diversité : comment donner du corps au bouillon où cuisent le petit salé  (ici le plat de côtes) et les légumes du jardin ?

Pour les Brivistes, pas d’hésitation : il faut de la mique. Une boule de pâte à pain additionnée de quelques œufs, qui a cuit dans le bouillon.

Légèrement gluante, la mique donne du corps à la plus modeste des soupes.

Mais du côté de Tulle, c’est une autre histoire. On prépare plutôt des farcidures : des boulettes de pommes de terre râpées et cuites elles aussi dans le bouillon. « Sauf que ce n’est pas tout à fait le même bouillon, précise Thierry Vernat, un restaurateur de campagne héritier de trois générations de farcidures.

Chez nous, il y a de l’andouille, c’est-à-dire… du saucisson à cuire. »

C’est midi et la salle de son restaurant est pleine, comme tous les jeudis, jour de farcidures.

Quelques voisins sont venus avec leur gamelle pour en rapporter chez eux. Aurait-on trouvé le symbole de ce peuple de Corrèze ? Sans doute, sauf qu’à quelques kilomètres à peine, ce sont des milhassous que prépare Geneviève pour les clients de sa ferme-auberge.

La base est encore de la pomme de terre râpée mais la forme, cette fois, rappelle plutôt une galette ou une omelette bien dorée… Allez vous y reconnaître ! « Ne cherchez pas, tout cela, ce sont des farcidures, tranche Régine Rossi-Lagorce, chroniqueuse sur Radio Bleu.

Il y en a au moins six variétés différentes sur le territoire de la Corrèze. »

Des spécialités culinaires en Corrèze bien vivaces mais peu connues.

Cuisinière et ethnologue, Régine s’est prise de passion pour le patrimoine culinaire local au point d’avoir tenu un bar-restaurant dans un village.

Elle s’installe volontiers devant la cantou, cette cheminée tellement grande que l’on peut s’asseoir dedans, pour mimer le geste de la « vieille » qui occupait autrefois sa soirée à préparer les tourtous pour toute la famille.

Les tourtous ressemblent à des crêpes. Ils sont faits avec du sarrasin, la graminée du pauvre, que l’on cultivait autrefois un peu partout dans la région.

On s’aperçoit soudain que les murs sont en granit et que les maisons basses font le gros dos sous les toitures d’ardoise. Monte une odeur de beurre fondu au coin du feu. On dirait novembre à Paimpol.

La Corrèze serait donc l’autre pays de la galette ? Régine approuve et s’interroge.

« D’où vient que nous n’ayons pas réussi à faire connaître notre culture comme les Bretons ? Aurions-nous trop cultivé le goût du secret ? »