Si cette pratique existe dans le monde entier depuis l’apparition des premiers hommes, la cueillette n’a pas disparu dans nos sociétés contemporaines, bien au contraire.

 

On cueille, mais pas n’importe quoi ni n’importe comment

Avec l’invention de l’agriculture, il y a 10 000 ans, qui a permis de produire des aliments en plus grand nombre et de façon plus sûre, on aurait pu imaginer que la cueillette disparaîtrait. Pourtant, elle suscite encore un vif intérêt, qui s’explique en partie par la demande croissante de produits naturels et bons pour la santé.

Mais attention, il faut connaître l’historique des parcelles et la sensibilité aux pollutions des plantes que l’on cueille. Car qui dit sauvage ou spontané ne dit pas forcément sain, comme l’explique William Marotte, président de la coopérative Sicarappam regroupant des cueilleurs de plantes sauvages d’Auvergne. Sur les trois cents plantes que la coopérative propose à la vente, certaines, comme l’aubépine, le cynorhodon (fruit de l’églantier) ou le sureau, poussent autour des villes et villages. « Nous les faisons donc systématiquement analyser afin de s’assurer de leur qualité », poursuit William Marotte, qui, en ce mois de mars, prélève des bourgeons de figuier dans le sud de la France. Cueilleur depuis plus de quinze ans, il a assisté à la raréfaction de certaines espèces du fait de l’activité humaine, comme l’arrachage des haies avec l’expansion urbaine ou le traitement de certaines zones de montagne, qui a un impact sur la richesse de la flore sauvage.


Lire aussi : Vers une pâtisserie vertueuse



Cueillir et préserver : l’impact écologique de la cueillette

Par ailleurs, face à une demande de plus en plus grande, les cueillettes doivent être responsables afin de ne pas mettre en péril les espèces. Beaucoup de cueilleurs sont des amoureux de la nature, sensibilisés à ces questions. Cependant, certains arrachent tout, surtout s’ils sont mal payés. Comme le souligne un rapport de l’Association française des professionnels de la cueillette deplantes sauvages (AFC): « En Francemétropolitaine, de l’après-guerre jusque dans les années 1960, les cueillettes commerciales de plantes sauvages ont longtemps représenté des revenus d’appoint pour les familles installées dans les zones rurales. […]

Si de plus en plus d’agriculteurs ont délaissé cette activité peu lucrative et synonyme d’archaïsme et de pauvreté, d’autres acteurs, souvent des néo-ruraux, s’en sont saisis, faisant des cueillettes des plantes sauvages une réelle opportunité pour habiter et valoriser autrement un espace rural en déprise. » Le rapport poursuit: « Les nouvelles stratégies d’approvisionnement qui se profilent placent donc la flore de certains pays européens, dont la France, au cœur d’une véritable spéculationqui soulève de fait la question des conditions de l’utilisation durable de ces ressources et des modes de régulation à inventer à l’échelle des territoires pour gérer ces prélèvements. » Aujourd’hui, ces plantes constituent une manne pour les industriels. Elles sont donc considérées comme des « ressources à fort potentiel d’innovation » suscitant de nombreuses convoitises.

La cueillette : une pratique florissante

Christophe Ceresero fait partie des quelques centaines de cueilleurs professionnels en France. Selon lui, si la cueillette doit être responsable en favorisant la rotation des zones et un prélèvement parcimonieux des espèces afin de ne pas avoir d’impact sur leur renouvellement, c’est aussi une pratique qui permet la valorisation d’un produit et d’un territoire. L’exemple du lactaire sanguin, un champignon très présent dans le Bugey, est à ce titre un bon exemple. Poussant en nombre dans cette région de l’Ain, il n’est pas consommé sur place, mais très apprécié dans les pays du Sud, comme l’Italie et l’Espagne, qui en font des conserves.

Aujourd’hui, le Syndicat des cueilleurs du Bugey, dont Christophe Ceresero est le président, vend ces champignons à des grossistes qui les commercialisent sur les marchés du sud de l’Europe. Voilà donc une pratique qui a permis la valorisation d’un champignon local autrefois délaissé. Passionné de nature, Christophe Ceresero allie cueillette, valorisation et préservation des plantes. Reines-des-prés, pétales de coquelicot, fleurs et racines de pissenlit, bourgeons de sapin sont autant d’espèces proposées par ce cueilleur qui les transforme en sirop, en gelée… « J’essaie de mettre en valeur les doubles vertusde chaque plante: médicinale et gustative. »

Parfumez et donnez un charme poétique à vos assiettes avec une poignée d’herbes et de fleurs.

Le goût est aussi une des clés de voûte des produits de la cueillette. Pour cette raison, certains chefs aiment les introduire dans leurs cuisines. Actuellement Stéphane Meyer, qui cueille pour des tables étoilées, explique que le mouron des oiseaux, l’ail des ours ou la flouve odorante sont beaucoup demandés. Certaines plantes peuvent être cultivées ou sauvages, comme le thym. Mais un thym sauvage n’a pas la même saveur qu’un thym cultivé, explique William Marotte. « Un thym sauvage est meilleur car il a poussé dans son milieu, et les différences gustatives se ressentent en fonction des terroirs. Le thym du Larzac développe des arômes d’agrumes que n’a pas un thym des Alpilles, qui sera par ailleurs plus doux en bouche. »

Mille et un usages

En Auvergne, à la Ferme de la Palfichade, Brigitte enseigne comment se familiariser avec les herbes de montagne, en donnant des cours de cueillette mais aussi de transformation. Gentiane, callune, myrtille, framboisier, aubépine, serpolet, aspérule odorante, ronce… Selon les saisons, elle cueille les feuilles, les fleurs, les fruits mais encore les racines ou les graines. Chaque partie de la plante a ses fonctions, son goût, ses propriétés et devient huile, crème, gelée, tisane… Si elle les sèche pour les conserver, on peut aussi les cuisiner fraîches. Brigitte élabore des pestos d’ortie, des sushis aux épinards sauvages, des tartes à la rhubarbe et au sureau…

D’une manière générale en France, les cueillettes ont lieu au printemps, en été et à l’automne, bien que certaines plantes se récoltent aussi en hiver, comme les baies de genévrier qui parfument le gin ou la choucroute. Enfin, on ne trouve pas les mêmes plantes dans la vallée de Chevreuse, sur le pourtour Atlantique ou en Corse. Les produits de la cueillette constituent un véritable éventail de goûts, d’odeurs, de couleurs et donc de plaisirs

Texte Emmanuelle Jary. Recettes et stylisme Natacha Arnoult. Photos Valéry Guedes.

 

 


Lire aussi : Recette de pesto d’herbes dans un pain gourmand, et salade de chou