Le chef étoilé Thierry Marx a créé des écoles destinées aux adultes en situation de précarité professionnelle afin que la cuisine devienne un outil de réinsertion. Une recette qui marche !

En 2004, Thierry Marx est élu Chef de l’Année, il fait l’objet d’un reportage pour l’émission Envoyé Spécial et d’un portrait dans Libération. Une journaliste lui pose alors cette question qui sera déterminante pour la suite: « Comment en êtes-vous arrivé là, vous qui avez grandi dans un quartier défavorisé? » Sa réponse: « J’ai bénéficié de plusieurs cadres éducationnels comme le sport, l’apprentissage avec les compagnons du devoir et l’armée. » Thierry Marx prend alors conscience des inégalités et décide d’aider les personnes éloignées de l’emploi à retrouver un cadre mais également un réseau, car c’est bel et bien ce qui fait défaut dans les quartiers prioritaires des villes, comme on qualifie aujourd’hui les quartiers en difficulté.


Lire aussi : Le haut du panier : les légumes d’exception d’Annie Bertin


L'école de cuisine de Thierry Marx« Il y a quelques années, j’ai travaillé pour le Secours populaire et les Restos du Cœur. J’ai rencontré Véronique Colucci et, en parlant avec elle, j’ai compris que pour les personnes en précarité, il n’y avait pas de solution d’apprentissage. C’est comme un trou dans la raquette. » Il décide d’agir. Mais si Thierry Marx connaît tout de la cuisine, il lui fallait une aide administrative. Le hasard met sur sa route Véronique Carrion, juriste sensible aux questions d’insertion, de développement économique et d’emploi. Thierry Marx élabore le programme pédagogique pour la cuisine, la boulangerie et les métiers du service, tandis qu’avec l’aide de la mairie du 20e arrondissement de Paris, Véronique trouve un local. Les demandes de formation étant de plus en plus nombreuses, ils cherchent rapidement un lieu plus grand, une ancienne imprimerie. Ils y construisent deux cuisines professionnelles et une boulangerie, sur 1000 m2, auxquels s’ajoutent 300 m2 d’espace événementiel. Là, pendant 12 semaines, les 130 stagiaires apprennent 80 recettes et 80 gestes.

« On enseigne le pratique qui est dispensé en CAP, mais pas la théorie. Donc nos stagiaires se mettent à la cuisine tout de suite », explique le chef. Et Véronique Carrion, aujourd’hui directrice des centres de formation Cuisine Mode d’Emploi(s), d’ajouter: « Il ne faut pas perdre de vue que ce sont tous des adultes qui ont en moyenne 30 à 35 ans, donc il faut que ça aille vite pour les remettre sur le marché de l’emploi. Ils apprennent ensuite plus profondément en pratiquant le métier, le but étant de leur mettre un pied sur la première marche. »

L'école de cuisine de Thierry MarxDes résultats impressionnants Après cette formation, à raison de 35 heures par semaine, les apprentis sont orientés vers un stage en milieu professionnel. « 90 % d’entre eux trouvent un emploi », annonce fièrement Thierry Marx, qui consacre tous ses lundis – jour de fermeture de son restaurant étoilé le Sur Mesure, au Mandarin Oriental, à Paris – à ses écoles. Car elles se sont multipliées depuis 2014, date à laquelle la fondation « La France s’engage » leur donne une aide financière, donc les moyens d’essaimer. Au total, en plus de celle située dans le 20e arrondissement de Paris, six écoles ont ouvert à Grigny, Clichy-sous-Bois, Dijon, Champigny-sur-Marne, Besançon, Villeneuve-Loubet.


Lire aussi : Gratin de potimarron, pommes de terre et herbes sauvages


Pour suivre la formation, il faut uniquement répondre à deux critères: être majeur et motivé. Un entretien personnalisé permet d’évaluer la motivation des candidats.

« On a une règle dans nos écoles: le passé de nos stagiaires ne nous intéresse pas », explique Thierry Marx. Généralement, ce sont des demandeurs d’emploi de longue durée, des bénéficiaires des minima sociaux, des détenus en fin de peine qui veulent se réinsérer. Depuis quelques années, Véronique Carrion a vu arriver un nouveau profil: les réfugiés. Les demandes de formation étant toujours plus nombreuses, de nouvelles écoles continuent d’ouvrir, dont une à Toulouse en septembre. Elle dispensera une formation de boulangerie, restauration et poissonnerie. En 2020, un autre établissement ouvrira à Lille, et des études sont en cours à Bordeaux et Pau. Mais Véronique Carrion et Thierry Marx veulent aller encore plus loin. « On réfléchit à un nouveau projet Cuisine Mode d’Emploi(s) Sup, afin d’aider les personnes qui souhaitent monter leur entreprise au sortir de cette formation », expliquent-ils. En dix ans, 2000 stagiaires ont été formés et 70 ont monté leur structure telle qu’un salon de thé, un food truck ou encore un bar à tapas. Et Thierry Marx de conclure: « Les gens s’approprient un projet, ce n’est pas un emploi par défaut. Ça amène donc beaucoup d’énergie. J’en suis très heureux. »

Extrait du n°258 de Saveurs
Texte : Emmanuelle Jary / Photos : Claire Payen