Thomas Chisholm, de la palette au palais

Après 9 semaines de compétition dans Top Chef, Thomas Chisholm, 29 ans, a été éliminé par deux anciens candidats qui ont réintégré la compétition de façon inopinée : Pierre et Bruno. Si le franco-américain a fait chou blanc sur l’épreuve consacrée à ce légume, il poursuit son métier avec de nouveaux projets en tête, comme un restaurant à Perpignan.

Thomas Chisholm top chef 2021, crédit Marie Etchegoyen

Thomas Chisholm top chef 2021, crédit Marie Etchegoyen

 

« Mais tu es fou ? Il faut absolument qu’on fasse les Saint-Jacques, elles sont ultra fraîches”, souffle Thomas à Julien. “Et c’est comme ça qu’on s’est mis dans le jus jusqu’au cou, parce que notre producteur a débarqué en plein service. Thomas, pour faire plaisir à sa clientèle, a voulu les préparer en carpaccio minute ou juste grillées”, se souvient Julien ancien collègue et chef. Ensemble,  ils ont travaillé pendant 1 an et demi au restaurant Itinéraires dans le 5e arrondissement de Paris, puis au restaurant Grive, dans le 11e. En un rien de temps, le duo crée une recette pour satisfaire des clients surpris de voir une carte ainsi chamboulée. Devant Thomas, les ingrédients sont alignés. Tel un peintre devant ses couleurs, il prend un peu d’huile, une pointe d’herbe, saupoudre de sel, et ajoute une petite fleur. Et voici l’assiette ! C’est mécanique, instinctif et créatif. Les goûts, il les connaît, les mariages aussi. Sa créativité, il la puise dans ses humeurs,  du  produit ou encore des notes de rap, Notorious B.I.G, qui s’échappent de son enceinte, avant le service.


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“L’artiste de la saison Top Chef”, comme il est surnommé, détonne par sa spontanéité créatrice, sa marque de fabrique. En pleine épreuve, Thomas marque un temps d’arrêt, ses sourcils blonds se froncent, “non, il manque un truc”. Alors que ses plats sont préalablement définis, il se tourne vers le garde-manger et change sa recette. Pour l’ exercice du trompe-l’œil imposée par le chef deux étoiles Andoni Aduriz, Thomas réalise un cigare au biscuit vanillé, mousse de fève de tonka, crémeux praliné et crumble de lait en poudre déshydraté, pour l’illusion de la cendre. Mais, comme il le dit si justement, Top Chef “permet de se dépasser dans les associations”. Les idées fusent : un dessert en forme de cigare ? Utilisons des feuilles de cigare ! “J’ai fait ça sur un coup de tête. Je me suis dit qu’il fallait que j’ose davantage, ça passe ou ça casse”. Et c’est passé !

 

 

Le plat de Thomas en trompe l'oeil.

Le plat de Thomas en trompe l’oeil.

Bien que son idée soit novatrice, Thomas n’est pas un peintre fou, prêt à tout associer pour créer de l’originalité à tout prix. Derrière sa créativité, il y a de la rigueur, “s’il ne se met pas de barrière, témoigne Marion sa compagne, il aime aussi parfois jouer sur la cohérence. Sur l’épreuve du champignon des chefs Marcon, Thomas a associé le sirop d’érable avec des chanterelles, deux produits qui viennent de la forêt”. Mais cette spontanéité n’est pas réservée à la compétition. Thomas l’exerce tous les jours, y compris en plein service. “Il marche à l’instinct, si d’un coup il se dit qu’avec tel condiment c’est mieux, il n’hésite pas à changer. Tous les clients n’auront pas le même plat”, confesse Julien. Ne parlons même pas de ses dressages ! “Au restaurant 6 Paul Bert, je les changeais parfois en cours de service. Je créais une bonne partie de la carte avec le chef. Parfois les serveurs me disaient “ah tiens tu as changé. Je trouve ça cool de se lâcher et d’oser”, confie Thomas avec son accent du sud qui chante.

Lui, qui avait décroché une bourse pour suivre des cours d’art à l’Institut Pratt de Brooklyn à New-York ! C’est là que le chef a passé une partie de son enfance. Mais le jeune homme de 14 ans à l’époque, voit ses rêves s’envoler lorsque sa famille retourne dans la région natale, Perpignan. Ne sachant ni lire, ni écrire le français, Thomas redouble sa 4e et s’oriente, non pas en seconde générale avec option art comme il le souhaitait, mais vers un lycée professionnel, direction les fourneaux. Ce choix ne s’est pas fait par dépit. Il a trouvé dans la cuisine le moyen d’épanouir sa créativité. S’il lui manque les mots, s’il ne peut pas encore les écrire, c’est d’un coup de lame, ou avec une louche de bouillon parfumé qu’il s’exprime enfin. Ses assiettes deviennent des toiles. D’ailleurs en cuisine, il a gardé ses pinceaux. “On les utilise pour envoyer des gouttes ou des traits de condiments. Sur des dressages, Thomas lançait presque sa sauce”, se rappelle Julien.

 

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« A la Jackson Pollock », il construit son assiette, mais il puise aussi son inspiration auprès de peintres reconnus pour leur palette de couleur. “ Je suis attiré par Kandinsky, Miro mais aussi par des artistes du street art comme Banksy », admet Thomas. Ses dressages, montés à la pince, témoignent aussi de son parcours étoilé où il a pu apprendre auprès des pontes de la gastronomie, explorateurs de goût, aux assiettes minimalistes : d’Alexandre Klimenko, Thierry Marx, Sylvain Sendra ou encore Atsushi Tanaka. Et ce n’est pas par hasard s’il s’est exercé avec eux, «j’ai toujours eu une attirance pour ce style de cuisine ».

Il a un peu ce côté savant fou

Lors de l’épreuve de la cuisson instantanée par Angel Leon, Thomas a impressionné le chef trois étoiles en créant un choc thermique pour cuire des gambas sur du gros sel, en y versant un bouillon de crevettes épicé. “Il a un peu ce côté savant fou où il prend sa cuisine pour un laboratoire, plaisante sa copine Marion. Pendant le premier confinement il a fait du levain qu’il surveillait tout le temps ou encore du ginger beer. Mais on l’a bu trop rapidement car c’était délicieux !”. Derrière son image de “Warhol des casseroles”, comme l’appelle son chef de brigade Michel Sarran, Thomas reste simple, « drôle mais posé », selon Julien. Il propose une cuisine ouverte sur le monde et généreuse,“un mélange de mes deux cultures, américaine et catalane”, où il troque volontiers ses dressages carrés pour poser sur la table une bonne marmite de blanquette de veau ou présenter à Marion une tarte au crumble “avec la double pâte, surmontée d’une bonne cuillère de crème fraîche à la sortie du four”. En attendant d’ouvrir un restaurant à Perpignan dès qu’il se sentira prêt, Thomas couche les mots sur du papier pour composer un rap, son autre grande passion, avec le street art.

Louise Delaroa.


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