Dans le nord de la France, les friteries font de la résistance. La frite y est une tradition qui réunit les générations.

Friteries : un héritage traditionnel

C’est le cliché qui fait rigoler la France. La Friterie Momo, immortalisée par le film de Dany Boon, Bienvenue chez les Ch’tis, ou celle des inénarrables Tuche. Pourtant, qui n’a jamais traversé un village du Nord sans apercevoir la réjouissante lueur d’une baraque ? On comprend alors l’attachement des Nordistes pour ces friteries qui perpétuent un art culinaire populaire. Comme on ne change pas de paroisse, chaque friterie a ses fidèles qui croient en la suprématie de son friteur, autoproclamé « roi de la frite ». C’est d’ailleurs leur ferveur qui permet au site friteries.com d’établir le palmarès des meilleurs établissements de France.

Sans surprise, les friteries nordistes trustent le classement. On se demande d’ailleurs comment les autres pourraient prétendre les concurrencer, tant les baraques à frites font intimement partie du paysage. L’année dernière, c’est la friterie de Vendin-le-Viel, petite commune proche de Lens, qui a remporté le pompon. Depuis, toutes les télés, même la BBC, ont campé devant la baraque de René, qui a le triomphe modeste et l’art de la formule. « La frite, je lui fais l’amour », lâche-t-il quand on lui demande son secret. Tombé dans l’huile par hasard, voilà vingt-deux ans, il s’at

tache depuis, comme il le dit, à servir au plus grand nombre de quoi manger pour deux sous.


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Les stars des soirs de match

Si la Belgique et la France se disputent encore la paternité de la frite, les baraques à frites se sont développées de chaque côté de la frontière. Elles se situent souvent à proximité des usines et dans les lieux publics associés aux fêtes populaires. Aujourd’hui encore, les soirs de grands matchs, à Lens, les supporters des Sang et Or engloutissent deux tonnes de frites au comptoir des friteries Sensas. À la tête de cet empire de la frite, son créateur Jean-Paul Dambrine, fils de mineur lensois, 69 ans, possède cinq friteries fixes et une vingtaine de friteries mobiles.

Un emblème du Nord de la France

En Belgique, le fritkot est devenu une institution nationale, que tout bon Belge s’enorgueillit de fréquenter. La frite a même son musée, à Bruges. Chez nous, elle s’est arrêtée aux portes de Paris, en Picardie, snobée par la capitale et les autres régions réputées plus gastronomiques. Dans un pays qui a inventé la pompeuse pomme duchesse et la somptueuse pomme soufflée, la frite semble bien triviale, surtout quand on la déguste avec les doigts sur le trottoir.

N’empêche, elle titille les Parisiens et les touristes, qui cherchent tous une bonne friterie en débarquant à Lille. Sauf que le plan d’urbanisme a eu raison des pittoresques baraques, qui ont quasiment disparu de la capitale des Flandres. En 2014, le Centre d’Architecture de Lille a mis son grain de sel et porté l’installation de Bob, friterie futuriste aux allures de chamallow, dessinée par l’artiste autrichien Erwin Wurm. Après un démarrage difficile, elle revit entre les mains de Fabrice, un forain amoureux de son métier. À Arras, chef-lieu du Pas-de-Calais, on compte encore cinq friteries, plantées à des endroits stratégiques de la ville depuis plus de deux décennies. Car l’emplacement, il n’y a que ça de vrai. Paradoxalement: une baraque devant être mobile, tout en étant installée à demeure.

Un savoir-faire traditionnel

Dans le quartier résidentiel Minelle, Francis et Sylvie attendent le client midi et soir depuis vingt-six ans. Francis est un puriste. Il va chercher ses pommes de terre dans une ferme des environs et les épluche lui-même, avant de les tailler suivant la taille académique : 1 x 1 cm. « En début de saison, elles sont trop fermes, elles ont trop d’amidon et elles ne dorent pas bien. En fin de saison, elles sont trop sucrées et elles roussissent », explique-t-il.

C’est lui qui manie l’araignée, sorte d’écumoire qui sert à sortir les frites de leur double bain. Le premier bain à 150 °C, le second à 180 °C. À son épouse revient la tâche de les emballer, saupoudrées de sel, aspergées d’une giclée de vinaigre. Elle les accompagne d’une de ces sauces pseudo-exotiques au nom insolite: la « samouraï » (best-seller), l’« andalouse », la « hannibal »… Ou de garnir les « américains » – de gros sandwichs… aux frites.

Sylvie concède que la frite, c’est pas la fête tous les jours. « L’été il fait chaud, l’hiver très froid », raconte-t-elle, émue pourtant de voir les générations se succéder à sa guérite. Car la baraque reste un vrai lieu de convivialité où se retrouvent, le samedi soir, tant les familles munies de leur saladier pour ramener les frites à la maison, que le solitaire au frigo vide.

Chef-d’œuvre en péril ?

En 1970, on comptait 8000 friteries. Il en resterait moins de 500. « Les food trucks ont bouleversé leur marché unique », commente Frédéric Leturque, maire d’Arras. Il ne reçoit plus aucune demande d’occupation du domaine public pour ce genre de restauration. Sur sa magnifique Grand-Place, il a bien fallu qu’il accorde l’installation de deux kebabs, même si la frite reprend ses droits lors de la fête locale de l’andouillette.

À Tourcoing, le maire, Didier Droart, a fait le buzz en conviant une baraque à frites à sa cérémonie des vœux. Mais les friteries comptent leurs abattis. À Noyelles-Godault, Patrick s’inquiète des travaux urbains qui vont l’obliger à déménager sa cahute. Il s’enorgueillit pourtant de faire une vraie frite, au gras de bœuf, contrairement à ses collègues, qui emploient de l’huile de tournesol, de colza ou même, sacrilège, de palme! Faut-il en passer par un label pour sauver les friteries comme celui récemment créé pour les estaminets? On parie plutôt sur une frite rebelle qui poussera encore longtemps, on l’espère, sur le bord des routes du Nord.


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Texte Marie-Laure Fréchet. Photos Valérie Lhomme