"Vingt ans d’essais, d’expérimentations, d’échecs frustrants et de réussites au-delà de toute espérance. Cultiver mon jardin comme je le fais aujourd’hui a été un parcours initiatique, dont je récolte enfin les plus beaux fruits", confie le chef Jean-Luc Brendel. Chemise à carreaux, lunettes cerclées, bretelles et chapeau de paille sur la tête, il y a trouvé son identité culinaire. Son premier potager date de 1992, suivi en 1998 d’un jardin médiéval de forme circulaire, inséré dans un carré : une géométrie où se côtoient fleurs et herbes aromatiques sur 800 m2. À l’époque, on le prend déjà pour un sorcier, confie-t-il… Il faudra néanmoins attendre 2016 pour que les Jardins du Kobelsberg deviennent « un écosystème productif, résilient et bio », grâce à la permaculture, qui leur donne un sol vivant sur lequel pousse abondamment tout ce dont il a besoin pour sa cuisine. Et ce, sans traitement : « la chimie, c’est contre nature », lance-t-il. Ils s’étalent désormais sur quatre parcelles et 7 500 m2, et le chef continue à réfléchir à d’autres évolutions.

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Au rythme de la nature

Cornouillers, haricot dragon, melonnette de Vendée, poivron mandarine, courge d’Albenga, herbe à curry, navet marteau, tomate blue bayou, carotte gniff, betterave reine noire, oca du Pérou, fraise anared, baie de goji, myrobolan font partie des quelque 350 variétés d’herbes, de plantes, de légumes et de fruits d’ici et d’ailleurs dont Jean-Luc Brendel se sert « pour raconter une histoire dans l’assiette ». Et quelle histoire ! Si son inspiration est essentiellement végétale, il n’hésite pas à puiser dans ses souvenirs d’enfance, comme pour le homard bleu, qui lui rappelle ses premières vacances en Bretagne. Il le corse avec un jus absolu aromatique mitonné avec de la citrouille confite, des feuilles de capucine et une touche de safran alsacien qui arrive en fin de bouche. L’omble chevalier, dont la peau cristallisée constitue un ingrédient à part entière dans l’assiette, est mi-cuit, mi-fumé et mi-salé pour préserver la délicatesse de sa chair. Il est servi avec un subtil fumet au crémant et une purée de persil plat et d’épinards arbustifs. Nappé d’un jus de champignons, le chou confit laqué citronné exhale des arômes beurrés. Pour valoriser la betterave qui, déclinée en moult variétés, révèle le meilleur d’elle-même dans ce sol argileux, il ajoute des œufs de brochet et une glace au raifort.

Jean-Luc Brendel dans son jardin
Grâce à un sol vivant obtenu par la permaculture et une serre, la production des jardins assure 98 % de l’approvisionnement de juin à décembre, et 80 % le reste de l’année. Les légumes, cueillis le jour même, sont d’une fraîcheur inégalable. Photo : Marie-José Jarry

Il peut consacrer une semaine entière à mettre au point la sauce, composée d’un mélange d’épices, de cèpes confits et d’oignons et de framboises au vinaigre, qui accommodera le gibier que des chasseurs de sa connaissance lui apportent entier. Le temps est en effet pour lui celui de la nature, et il peut remettre l’ouvrage sur le métier autant de fois que nécessaire pour parvenir à l’équilibre voulu. Comme pour son « feuille à feuille de mesclun », à base de sève de laitue blanchie et pressée. Ce plat, bien plus complexe qu’il n’en a l’air, résume à lui seul la quintessence du jardin et le chemin parcouru par le chef.

Billes de persil par Jean-Luc Brendel, restaurant La Table du gourmet
Une cuisine classique renouvelée par des techniques sophistiquées, comme pour ces billes de persil. Photo : Marie-Josée Jarry

Un entourage féminin

Un parcours pour lequel il a reçu le soutien sans faille de son épouse, Anne. Sa sœur, Fabienne, règne, elle, sur la salle de la typique maison vigneronne de 1539, qui abrite la trentaine de couverts de La Table du gourmet. C’est d’ailleurs elle qui en a choisi le rouge et le noir « stendhaliens » hors du temps : aux murs une patine vénitienne, au plafond de larges poutres noircies au brou de noix et des fauteuils en pure laine « pour respecter les gens et la planète ».

Sur la plus ancienne Route des vins en France, qui a célébré en 2023 son 70e anniversaire, le « divin nectar » joue un rôle essentiel dans cette alchimie. Sur le millier de flacons que compte la cave, la moitié est dédiée aux vins alsaciens, dont principalement des vins d’auteur. Arrivée en 2011, la cheffe sommelière, Anne Humbrecht, s’est en effet fixé pour mission d’en transmettre autant l’âme que la grandeur. Elle a, pour ce faire, réalisé avec les vignerons un travail titanesque visant à classer tous les crus du territoire par type de sol, en analysant l’influence de la géologie et des terroirs sur l’expression des vins. Ses accords justes résonnent en parfaite harmonie avec la cuisine « vivante et libre » de Jean-Luc Brendel.

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La Table du gourmet, 68340 Riquewihr. Du jeudi soir au lundi soir et du vendredi midi au lundi midi. Menu en 3 services, 80 € (le midi) ; 5 services, 125 € ; 7 services, 155 € ; 9 services, 180 €. Accords mets et vins, de 45 à 150 €.

Découvrir le jardin avec le chef

Jean-Luc Brendel partage sa passion du jardin avec ses convives en le faisant visiter le dimanche, pendant 1 h 30 environ. Une expérience conjuguée avec un déjeuner à La Table du gourmet et une dégustation d’une décoction  de plantes. Cerise sur le gâteau : on repart avec son panier de légumes. Sur réservation 48 heures à l’avance. À partir de 180 € pour 1 personne seule et 310 € pour 2 personnes.

Restaurant La Table du Gourmet, Jean-Luc Brendel, Riquewihr, Alsace
Dans la cuisine, visible depuis la cour derrière des portes vitrées, Jean-Luc Brendel s’est entouré d’une jeune équipe dont l’uniforme arbore les couleurs du restaurant. Photo : Marie-José Jarry
Le B. Vintage, maison d'hôtes créé par Jean-Luc Brendel à Riquewihr, Alsace
Jean-Luc Brendel a créé également un bistrot, la Brendelstub, inauguré en 2006 et tenu par son épouse, Anne, pour déguster tartes flambées, spécialités au feu de bois, jambon à la broche et charcuterie typique. Un cottage au milieu du jardin, des suites et une maison d’hôtes à l’atmosphère vintage décorés avec le plus grand soin viennent compléter l’offre. De quoi donner envie aux visiteurs de passer plusieurs jours dans la ravissante cité médiévale de Riquewihr. Photo : Marie-José Jarry
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