Jeffrey Cagnes, pâtissier heureux
Son parcours est riche d’expériences : ouverture de boutiques à son nom, participation comme juré ou invité à des émissions culinaires... Jeffrey Cagnes est un chef pâtissier incontournable. Nous l'avions rencontré en 2018 alors qu'il avait rejoint la plus ancienne pâtisserie de Paris, la maison Stohrer. Voici son portrait chinois.
Si vous étiez un ustensile ?
« La poche à douille. C’est le plus bel ustensile du pâtissier. Le geste donne un côté magique et majestueux à la pâtisserie. Un supplément d’âme, à l’inverse du moule en silicone, qui uniformise. Et puis, qui dit moule dit beaucoup de gélatine, et notre métier ne s’arrête pas à faire des bavaroises. »
Une saveur ?
« L’acidité qui, dans un repas, fait la bascule entre le salé et le sucré. Je joue beaucoup avec le citron. C’est un cuisinier, Jean-François Piège, qui m’a apporté cette touche. Il mettait toujours un zeste de citron sur ses plats au dessert. Un assaisonnement qui apporte de la subtilité à la rondeur de la pâtisserie. »
Une texture ?
« Le craquant, car l’amusement en bouche est très important. On dit souvent qu’il faut trois textures dans un gâteau: le mousseux, le crémeux et le croustillant. D’où l’apport de fruits secs par exemple. On obtient aussi le craquant avec le chocolat, comme la coque de mon cannelé revisité. »
Un parfum ?
« La vanille, car le pâtissier ne peut s’en passer. Esthétiquement, ses petits grains noirs qui se détachent sur le blanc, c’est magique. Et c’est vraiment un produit subtil, à doser comme la truffe. Il faut aussi prendre conscience que c’est un produit rare qui arrive dans nos labos avec une histoire, celle du producteur qui a pris soin de l’affiner. Son cours flambe, comme le beurre, mais c’est le lot des bons produits. »
Un fruit ?
« Le citron. On reste dans l’acidité, mais la tarte au citron est le dessert que je préfère réaliser. Sans doute car ma mère l’aime beaucoup et m’a fait goûter, enfant, toutes les tartes au citron de Paris ! Je juge un établissement à sa tarte au citron car il y a un vrai savoir-faire de dosage entre le citron et le sucre. »
Un ingrédient ?
« Le chocolat. C’est une palette de saveurs, de couleurs, de textures. Je préfère travailler le noir, mais le lait et le blanc sont aussi gourmands. Il ne faut pas oublier qu’on pâtisse aussi pour les enfants. Le chocolat, c’est la gourmandise à l’état pur. »
Une technique ?
« Le tablage du chocolat. C’est une technique qui se perd. On l’apprenait encore en apprentissage, il y a une quinzaine d’années, car il n’y avait pas beaucoup de machines pour tempérer le chocolat. Le jeu de la palette sur le marbre, c’est un geste très beau, très sensuel. »
Une pâtisserie classique ?
« Le puits d’amour. C’est une pâtisserie très simple: du feuilletage, une crème pâtissière qui rappelle des souvenirs d’enfance, et une caramélisation au fer chaud. Avec peu d’ingrédients, on arrive à avoir quelque chose d’addictif, très food porn. »
Un mentor ?
« Mon papa Jean-Louis. Quand j’ai commencé ce métier, il n’était pas pour. Ensuite, il m’a toujours poussé. Il m’a enseigné que, dans la vie, on peut rencontrer des échecs, mais on tombe et on se relève. Comme dans un combat de boxe. Pour moi, c’est ça un mentor. Quelqu’un qui vous accompagne et vous aide à vous relever. Et qui mieux que son père pour ça ? J’espère avoir le même type de relation avec mon fils. »
Un alter ego sucré ?
« Mon second, Inacio Quaresma. Sans lui, je ne pourrais pas donner autant de plaisir aux gens. Je peux me reposer complètement sur lui et c’est très important. Un chef n’est rien sans son équipe. »
Un alter ego salé ?
« Yann Meinsel, chef cuisinier au Royal Palm Marrakech. On est un peu comme deux frères. Je l’ai rencontré chez JeanFrançois Piège. Il y a une vraie personnalité dans sa cuisine et nous avons les mêmes ambitions. »
Un accord parfait ?
« Citron basilic. C’est ma tarte préférée chez Jacques Genin. Le basilic est entré dans notre métier depuis une dizaine d’années. On ne l’associait qu’à la tomate avant. On en revient à la cuisine, qui a fait entrer énormément d’herbes que le pâtissier n’aurait jamais osé mettre dans la pâtisserie. »
Un péché de gourmandise ?
« Ce que fait la pâtisserie Bontemps (rue de Bretagne, à Paris). C’est tout ce que j’aime : beaucoup de simplicité, un jeu de textures avec du croustillant, puisqu’elle travaille beaucoup le sablé. »
Une ambition ?
« Arrêter de bouger ! Trop d’ambitions, ça peut devenir bancal. Je suis revenu à ma maison de cœur et j’ai envie d’y rester, de la faire grandir encore en préservant son âme. De décliner ses classiques en les faisant connaître à ceux qui ne les ont pas encore goûtés. Cela fait quand même quatre fois que je reviens chez Stohrer. Et chaque fois, cela a été les moments de ma vie où j’ai été le plus heureux. »
Un autre métier ?
« Acteur de cinéma. Le septième art, c’est le plus beau métier du monde. Je suis un grand cinéphile, je peux enchaîner cinq films d’affilée. C’était aussi le rêve de mon père, qui avait son propre théâtre. Aujourd’hui la médiatisation de la cuisine nous a mis sur le devant de la scène, même si nous avons été formés à nous exprimer par le geste plus que par la parole. »
En savoir plus : jeffreycagnes.fr
(Interview publiée dans le magazine Saveurs n° 245, 2018)