Nous sommes dans le "triangle d’or" parisien, à deux pas de l’avenue Montaigne ourlée de boutiques et d’hôtels de luxe. Le San Régis est l’un d’eux, mais nul besoin d’y résider pour en pousser la porte ; il suffit de connaître l’existence des Confidences, le bien nommé restaurant speakeasy de l’établissement, aux allures de bonbonnière pastel. À la demande des sœurs Sarah et Zeina Georges, propriétaires du San Régis, Jessica a mis en place un tea time qui casse les codes : un quatre-heures à la française, très convivial, composé de douceurs à partager. Une coupe de champagne ouvre le bal, suivie d’une infusion conçue sur mesure pour lier harmonieusement le déroulé du goûter. Jessica Préalpato grandit avec des parents pâtissiers à Mont-de-Marsan, dans les Landes. Après une formation au lycée hôtelier de Biarritz, elle fait ses armes auprès de grands chefs avant de se spécialiser en pâtisserie. À seulement 29 ans, elle intègre la cuisine du Plaza Athénée après un
speed dating d’anthologie avec Alain Ducasse. "Ultra-rapide, 5 minutes max ! J’ai exprimé mon envie de rester dans un restaurant étoilé, mon amour des belles brigades et du travail de qualité. Il m’a répondu : 'Tu vas rencontrer Romain Meder, qui t’expliquera ce qu’est la naturalité.' J’ai compris par la suite qu’il cherchait une cheffe pâtissière et non une cheffe de partie, et j’étais d’autant plus étonnée ! Monsieur Ducasse donne facilement une chance à chacun, mais il faut ensuite faire des efforts. Il sait où il veut aller sans expliquer comment y parvenir. À nous de trouver le chemin, en tâtonnant." Sacrée "meilleure cheffe pâtissière du monde" en 2019 par le classement des World’s 50 Best Restaurants, Jessica est la première femme à recevoir cette distinction.

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Restaurant Les Confidences, hôtel San Régis
À deux pas de l’avenue Montaigne et du Grand Palais, le restaurant de l’hôtel San Régis offre un décor baigné de lumière, entre style classique et contemporain. Maurine Tric

Ode à la « desseralité »

Solaire, enthousiaste, opiniâtre et dotée d’une grande sensibilité, Jessica Préalpato a su trouver la voie de la "desseralité", une notion définie par Alain Ducasse au Plaza Athénée mêlant les mots "dessert" et "naturalité". "Le terme renvoie d’abord au sourcing. Une fois qu’on a mis un pied dedans, on ne peut plus en sortir ; on s’enracine dans la culture du meilleur produit, de la saisonnalité et de la chasse au gaspi. C’est aussi une valorisation des produits bruts, pour des desserts dont est exclu le sucre, qui sert ici uniquement d’assaisonnement, comme le sel dans un plat. S’affranchir des mousses et des crèmes oblige à réfléchir autrement, à chercher des goûts et des textures du côté des farines complètes, des graines, des céréales."

Le goûter se déroule selon une logique de dégustation, avec une hiérarchie des saveurs.

Le premier acte du goûter illustre cette démarche : le kiwi frais proposé dans son plus simple appareil révèle ainsi une saveur incomparable. Il est escorté de mini-choux garnis de crème de céréales, dressés sur un lit de graines de tournesol. Jessica a exploré les confins de la desseralité dans un livre du même nom, contenant des recettes engagées, brutes, marquées. Elle incorpore dans ses créations gourmandes des légumes (céleri glacé, olive, topinambour), des herbes aromatiques, du poivre, du chanvre, du foin, des algues, de la truffe… Elle avoue toutefois volontiers : "Manger des desserts à base de légumes ne fait pas rêver, moi la première. À mon arrivée au San Régis, j’ai clairement renoué avec la gourmandise, sans pour autant délaisser certaines herbes que j’adore, comme le cresson ou l’ortie."

Le goûter du San Régis
Le goûter s’articule autour de plusieurs temps de dégustation, dans un étonnant équilibre de saveurs et de subtils jeux de textures. Virginie Garnier

Réinventer l’art du goûter

"Il me semble important de réhabiliter le dessert à l’assiette. La plupart du temps, les desserts sont posés sur la table, et puis merci, au revoir, débrouillez-vous avec. Que faut-il manger en premier ? Le gâteau au chocolat ou la tarte à l’abricot ? J’avais envie de proposer un service du goûter en trois étapes distinctes : un premier volet avec des fruits frais et des scones agrémentés de condiments, puis un deuxième service et un troisième, un final porté par le gâteau au chocolat et sa glace au lait cru. Le client vit l’expérience dans une logique de dégustation, avec une hiérarchie des saveurs." Une cérémonie aussi réjouissante que généreuse.

Jessica Préalpato en 3 questions

Quelles sont vos sources d'inspirations ?

Les producteurs ! Ils ont la tête dans leurs arbres et toujours plus d’idées que nous ! Après avoir vu comment je travaille, ils m’expédient leurs produits et je leur envoie la photo du résultat.

Quels produits sont les plus délicats en pâtisserie ?

Les petites baies sont compliquées : le cynorrhodon, la cenelle, la prunelle… Le sapin m’a donné du fil à retordre, ainsi que la bière.

Votre ingrédient fétiche ?

Le kaki, un fruit méconnu mais tellement bon ! On travaille avec les petits kakis de Provence. J’aime aussi utiliser les herbes. Au-delà de la menthe et du basilic, il y en a tellement à solliciter, comme le cresson, l’ortie, dont on peut utiliser les petites feuilles, l’estragon…

La cheffe-pâtissière Jessica Préalpato
Réussissant la synthèse entre tradition, haute gastronomie et naturalité, Jessica Préalpato a réinventé le goûter à la française. Vincent Lappartient
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(Portrait publié dans le magazine Saveurs n° 312, 2024)

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