Avouons-le : à moins d’être né dans le Dauphiné, on a tous hésité un jour devant ce petit palet affiné mi-sec, à pâte molle et à croûte fleurie, bien souvent rangé sur l’étalage à côté des banons et des pélardons. Chèvre ou vache ? Hauts cris du crémier : c’est un saint-marcellin, voyons ! Donc vache. Ne culpabilisons pas cependant : il y a encore une quarantaine d’années, le saint-marcellin était "mi-chèvre". Et il y a deux siècles, complètement chèvre. C’est par un décret royal de 1730 destiné à protéger les forêts que commença ce passage progressif de l’ovin au bovin. Rien de pire qu’un troupeau de chèvres en semi-liberté pour écorner les jeunes pousses. Poussés par la loi, les fermiers remplacèrent peu à peu leurs chèvres par des vaches. La nécessité d’édicter des normes claires a fait le reste dans les années 1970. Résultat : selon le cahier des charges de l'IGP (indication géographique protégée) acquise en 2013, le saint-marcellin est fait uniquement avec du lait de vaches, montbéliardes (85%) ou holstein. Pour autant, la méthode de fabrication, d’origine caprine, n’a pas changé. Ensemencé par des ferments, le lait doit d’abord maturer plusieurs heures à température ambiante. C’est ensuite que vient l’emprésurage. Le caillé est donc acide… comme celui du picodon, petit fromage de chèvre qui fraie plus ou moins sur les mêmes terres que le saint-marcellin. Il est ensuite moulé en faisselles, égoutté, puis salé, retourné et affiné.

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Expansion ferroviaire du saint-marcellin

Les fromages sont bleus au bout d’une semaine et jaunissent en trois. Un délai court, typique d’un fromage de plaine, même si la zone de production, entre Drôme, Savoie et Isère, s’étend jusqu’aux contreforts du Vercors. En plaine en effet, les producteurs, ou les ramasseurs, ont la possibilité de se déplacer plus facilement qu’en montagne. Le format du saint-marcellin a convenu à des fermiers qui allaient vendre régulièrement leur production sur les marchés. L’arrivée du chemin de fer a contribué dès le XIXe siècle à resserrer les liens avec le monde urbain. Quant à la production, elle s’est peu à peu concentrée : cinq entreprises assurent aujourd’hui la majorité du tonnage, et la fabrication fermière est rare. Ainsi, le saint-marcellin a su se plier aux goûts de la ville. Alors qu’il est consommé sous une forme affinée dans le Dauphiné, on l’apprécie plutôt mou et crémeux à Lyon. Une invention de Renée Richard, fromagère des Cordeliers, dont la fille (Renée également) tient maintenant boutique au centre de la halle de Lyon. Affiné dans les caves de la maison, le saint-marcellin se révèle particulièrement moelleux et goûteux. La bénédiction accordée par Paul Bocuse à la "Mère Richard" a fait le reste de sa réputation.

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(Article publié dans le magazine Saveurs n° 201, 2013)

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