Fermentation : ce qu’il faut savoir avant de se lancer
Ce fascinant processus naturel et ancestral qui permet de conserver et transformer les aliments tout en augmentant leur intérêt nutritionnel revient au goût du jour. Une fois ses principes acquis, c’est tout un univers culinaire qui s’offre à vous.
Le mot « fermentation » est en soi peu appétissant. On tend à l’associer de manière instinctive à la pourriture, à la décomposition d’un organisme. Cette connotation péjorative, bizarrement, ne s’applique pas au mot « ferment », perçu comme une substance qui fait naître, d’où jaillit une forme de vie. Néanmoins la fermentation s’affiche aujourd’hui sur les sites web, les réseaux sociaux et dans les magasins comme la dernière tendance du moment. Or ce processus métabolique naturel est vieux comme le monde et il ne nécessite aucune intervention humaine. Les fruits ne fermentent-ils pas tout seuls ?
Retour aux sources
L’homme du Néolithique utilisait déjà cette technique de conservation. En quoi consiste-t-elle précisément ? 44 % des Français l’ignorent, selon une enquête réalisée en 2018 par Nutrimarketing, et 27 % affirment ne pas manger d’aliments fermentés. Pourtant 100 % en ont déjà consommé sans en avoir conscience. Le trio pain-vin-fromage, emblématique de la gastronomie française, est un pur produit de la fermentation. De même que les yaourts, les olives, le vinaigre, le saumon fumé, la bière, le saucisson, les cornichons, le beurre, le café… Ce sont quelque 5 000 aliments référencés dans le monde que la tradition doit à la fermentation. Qu’il s’agisse de produits lactés, carnés, végétaux ou de boissons, la nature de la fermentation diffère. Ce phénomène transforme les sucres naturellement présents dans une grande variété d’aliments soit en alcool (vin, bière, cidre…), soit en acide lactique (choucroute, yaourt, pain, olives…), soit en acide acétique (vinaigre), grâce aux micro-organismes présents dans les aliments (bactéries, levures, moisissures…) ou ajoutés par l’homme (roquefort,
camembert…).
La vedette du moment est la lacto-fermentation, qui, en dépit de son préfixe trompeur, n’a rien à voir avec le lait. Il ne s’agit pas de lactose mais d’acide lactique. La production d’acide lactique induit une acidification du milieu, incompatible avec la survie de bactéries pathogènes indésirables, comme Listeria ou Salmonella. En assainissant ce qu’elle transforme, la fermentation lactique conserve les aliments. Pourquoi fait-elle aujourd’hui l’objet d’un tel engouement ? Parce que la fermentation s’inscrit dans les préoccupations écologiques et économiques du moment : retour aux racines, zéro transformation industrielle, zéro gaspi, zéro emballage, zéro déchet. Ce besoin de naturel va de pair avec la nécessité de manger sainement.
Une surprise dans chaque bocal !
La fermentation surfe également sur la vague du do it yourself. Il y a un côté ludique, un peu « apprenti sorcier », à découper des légumes en morceaux, à en garnir un bocal et à les regarder évoluer, buller, changer d’apparence… Le principe est simple :
- on épluche un légume,
- on le place dans un bocal,
- on ajoute une saumure (eau + sel),
- on laisse fermenter environ trois semaines à température ambiante.
Les légumes-racines s’y prêtent particulièrement bien. L’anaérobie (absence d’oxygène) est à la base de la fermentation. Privés d’oxygène, les micro-organismes « stressent ». Pour se défendre, ils fabriquent des enzymes qui « cassent » les sucres et autres nutriments pour les transformer en d’autres substances bénéfiques à notre organisme : enzymes, vitamines, probiotiques…
Bactéries chéries
Contrairement à la stérilisation, qui détruit tous les micro-organismes – les bons comme les mauvais –, la fermentation neutralise les indésirables et dope les nutriments alliés. L’exemple le plus parlant est celui de la choucroute, dont la teneur en vitamine C augmente de 60 % par rapport à celle du chou. La consommation d’aliments fermentés renforce le système immunitaire et fortifie la flore intestinale. Ne les imposez cependant pas trop brutalement à votre corps : les intestins ont besoin de s’y habituer doucement. En fonction des ingrédients et de la durée de fermentation, des saveurs se révèlent, parfois très distinctes de celles de l’aliment de base. L’acide, l’aigre et l’acidulé caracolent en tête du bilan sensoriel.
Pour apprivoiser en douceur ce nouvel univers, commencez par explorer les boissons fermentées. Le principe est le suivant : sur la base d’un liquide sucré (jus de fruit, sirop, infusion sucrée, eau contenant des morceaux de fruits ou de légumes…), on ajoute un ferment : levain de panification, levain de gingembre, grains de kéfir, kombucha, petit-lait… Le premier effet de la fermentation est de provoquer une effervescence. Le mot « fermenter » dérive du latin fervere, qui signifie bouillir, produire des bulles. Les micro-organismes dévorent littéralement le sucre et le transforment en gaz carbonique qui, s’il reste sous pression dans le liquide, le rend effervescent. La fermentation élimine une grande partie du sucre voire la totalité selon le temps qu’on lui laisse. Les boissons fermentées représentent donc une alternative naturelle aux sodas industriels très sucrés et artificiellement gazéifiés.
Précieux Scoby
Scoby est l’acronyme de Symbiotic Colony Of Bacteria and Yeast (colonie symbiotique de bactéries et de levures). Cela désigne une association de bactéries et de levures qui, ensemble, déclenchent une fermentation. Le levain du pain, la mère du vinaigre, le kombucha, les grains de kéfir sont autant de Scoby. Jusqu’à présent, aucun laboratoire n’a réussi à fabriquer artificiellement un Scoby. Toutes les souches actuelles en circulation sont issues d’une même souche ancienne. Elles contiennent les germes de leur descendance, et il est possible d’en refaire indéfiniment. Comment se procurer un Scoby ? Le plus simple est d’acheter une boisson à emporter dans un restaurant adepte de la fermentation.
Des apports nutritionnels et gustatifs
Et côté papilles, quelle aventure ! L’arôme n’a parfois rien à voir avec le goût. Prenons l’exemple de la tepacha, boisson à base d’écorce d’ananas, d’eau et de sucre : si l’odeur de l’ananas est bien présente, la saveur aigre-douce n’en porte pas trace. À l’inverse, la boza, inodore, révèle en bouche une saveur de noisette torréfiée, proche d’un lait d’amande pétillant. Cette boisson au levain de millet est traditionnellement consommée au petit déjeuner en Bulgarie. Une méthode millénaire qui augmente les qualités nutritionnelles des aliments, qui apporte des probiotiques précieux à notre système immunitaire et notre flore intestinale, qui bouscule nos perceptions sensorielles et élargit notre horizon culinaire, pourquoi se priver d’une telle expérience ? À vos bocaux !
La rédaction remercie Malik Nguon, cheffe du restaurant Ferment à Paris, Marie-Claire Frédéric et Quentin pour l’aide apportée à la réalisation de cet article.
(Article publié dans le magazine Saveurs n° 282, 2022)