C’est dans la Genèse que la Bible mentionne pour la première fois le vin. Noé prend la première cuite de la Création et découvre du même coup les saveurs (et les effets) du vin. On ne sait pas s’il fit chabrot avec un fond d’amphore. Toujours est-il que depuis l’Antiquité, on cuisine avec le vin. Il fait partie des principaux ingrédients du cuisinier grec ou romain et entre déjà dans la composition de nombreuses recettes. Les Romains en particulier avaient mis au point un condiment à base de moût de raisin, le defrutum, une sorte de vin cuit parfois agrémenté d’aromates et d’olives, qui était ajouté aux viandes, aux poissons et aux conserves de fruits. Horace a, lui, laissé la recette de la « sauce simple »: une huile d’olive à laquelle on ajoute « du gros vin pur et de la saumure ». Quant aux Grecs, le petit déjeuner, l’acratismos, se composait tout simplement de pain trempé dans du vin. Trempe ton pain, Marie trempe ton pain dans le vin… Cette chanson de la fin du XIXe siècle témoigne de la longue association de ces deux ingrédients. Comme repas de base, mais aussi au Moyen Âge, comme celles qu’on retrouve dans le Viandier de Taillevent ou le Ménagier de Paris. On retiendra la dodeline ou la cameline, réalisées entre autres à base de vin rouge et de pain. On cuisine aussi déjà au vin blanc, notamment le hareng. Et surtout on aromatise le vin, qui est encore à l’époque une piquette aigrelette, en y ajoutant du sucre et des épices. Le vin en effet se boit jeune et se conserve mal, car la vinification est encore peu maîtrisée. Elle se développe vite dans une France longtemps rurale, où dans chaque ferme, chaque terroir, on brasse, distille ou cultive un arpent de vigne. C’est sans doute ce qui va contribuer au développement de notre patrimoine culinaire régional. La place manque et au terme des vendanges, il faut libérer les tonneaux.

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Bœuf bourguignon, coq au vin jaune du Jura, daube provençale, entrecôte sauce bordelaise, choucroute au riesling… Les cuisinières, avec les produits dont elles disposent, vont mettre au point ces recettes emblématiques, qui ont depuis dépassé leur terroir pour s’inscrire au registre de la cuisine française. Il faut dire aussi que le vin est un ingrédient dont les multiples propriétés se révèlent précieuses en cuisine. Aromatique dans un court-bouillon, c’est aussi un exhausteur de goût (le vin blanc en particulier). Son acidité joue un rôle dans l’attendrissement des viandes en marinade. Et sa richesse en tannins et en glycérol contribue à l’épaississement des sauces, dont la plus parfaite illustration reste la sauce miroir: une réduction de vin rouge liée au beurre.

N’hésitez pas à rassembler les fonds de blanc pour faire un court-bouillon ou des moules marinière.
Éric Dugardin, sommelier conseil à Lille et vice-meilleur sommelier de France 1988

La cuisine au vin a de bons restes

À mesure que s’est développé l’art de la vigne, le vin a pris de plus en plus d’importance. Mais moins dans l’assiette que dans le verre. De simple boisson, il est devenu un pilier du repas. C’est le chef Alain Senderens dans les années 1960, qui, parmi les tout premiers, va réfléchir à la question des accords mets et vins. Et plus encore aux accords vins et mets, partant d’un cru pour élaborer un plat, en évitant les dissonances entre les saveurs. Parallèlement, les vins ont considérablement évolué: la robustesse et la richesse tannique qui seyaient aux cuissons longues ont laissé place à la finesse et à l’élégance de vins qui se dégustent plus jeunes. Sans parler des vins nature, que l’on ne se risquera pas à passer à la casserole. Enfin, la cuisine elle-même a considérablement évolué. Moins de gibier, moins de sauces couvrantes et lourdes et surtout des cuissons courtes qui rendent la cuisine au vin obsolète pour la nouvelle génération de chefs qui cherchent avant tout à faire s’exprimer leurs produits et exhaler leur fraîcheur.

Pourtant quelques irréductibles continuent à perpétuer la tradition. Comme David Rathgeber, le chef de L’Assiette (Paris, 14e) : "Je réinterprète la cuisine du terroir." Il voue un culte à Édouard Nignon, grand chef du début du XXe siècle, et parle avec des trémolos de sa tête de veau, à laquelle il aime donner un côté « rock’n roll ». Son répertoire est classique : coq au vin, joue de bœuf, hareng-pommes à l’huile… qu’il aime « réinterpréter sans les dénaturer ». Ce saucier, comme il aime se présenter, n’aime rien tant qu’explorer le patrimoine culinaire français. « J’utilise beaucoup de marinades et de fonds de sauce, explique-t-il. Ce sont des recettes intemporelles, une cuisine du terroir qui a du goût, avec des herbes, du sel, du poivre et bien sûr, du vin. Et sans le vin, il n’y aurait pas de recettes. »

Citons aussi Yohan Lastre, ancien second de La Tour d'Argent et spécialiste du pâté en croûte, qui fait mariner ses viandes dans le vin avant de confectionner ses terrines.

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Alors, obsolète la cuisine au vin ? Demandez aux amateurs de gibier qui traquent en saison le lièvre à la royale. Ou à Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992 et propriétaire du Bistrot du Sommelier, à Paris. Lors d’un dîner de gastronomes, il fit chabrot avec son velouté de champignons et un Cheval Blanc 1998. « La soupe en a rosi de plaisir », s’en amuse-t-il encore. Tout le monde l’imita, mais en buvant soigneusement le précieux breuvage à la cuillère.

Quel vin utiliser pour cuisiner ?

À cette question classique, Éric Dugardin, sommelier conseil à Lille, vice-meilleur sommelier de France 1988, répond sans ambages: « Il n’est plus d’actualité d’utiliser des grands vins en cuisine. D’abord pour une raison économique, mais surtout parce que les vins rouges autrefois avaient une consistance plus pulpeuse et étaient plus robustes. Il ne faut donc plus raisonner avec les vins de l’époque à laquelle ces recettes ont été créées, mais avec des vins qui ont la caractéristique de leur terroir: acidité, rusticité, tannins, etc. »

À table, on ne boira pas la même bouteille que celle utilisée dans le plat, mais un vin de la même localité d’une qualité supérieure.

Question pratique : peut-on cuisiner avec les fonds de bouteilles d’un dîner ? « On peut les conserver sans problème une à deux semaines au réfrigérateur. N’hésitez pas à rassembler les fonds de blanc pour faire un court-bouillon ou des moules marinière. Le vin rouge se conserve de la même façon, au frais. Évitez en revanche de garder le vin nature qui est moins protégé. »

Petit lexique du vin en cuisine

  • Marinade : elle sert à attendrir les viandes (notamment le gibier) et à donner du goût. Elle est composée de vin rouge ou blanc et d’une garniture aromatique.
  • Mijoté et braisage : daube, civet, estouffade, autant de recettes qui se préparent avec du vin comme liquide de mouillage. Pas des grands crus mais des vins assez tanniques pour le rouge, acides pour le blanc.
  • Sauces : le vin rouge ou blanc est la base de nombreuses sauces du répertoire de la cuisine française, obtenues pour la plupart par réduction.
  • Déglaçage : il permet de dissoudre les sucs de cuisson. On ajoute le vin (rouge ou blanc) en fin de cuisson d’une viande ou d’un poisson.
  • Court-bouillon : il permet de pocher un poisson, une viande, des crustacés. Il est composé d’eau, de vin blanc et d’aromates.
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(Article publié dans le magazine Saveurs n° 213, 2014)

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